Dans cet article, j'aimerais vous expliquer pourquoi la laine m'inspire autant dans mon travail au quotidien, et partager avec vous les valeurs que je défends.
La laine, plus spécifiquement celle de mouton, est utilisée depuis des millénaires dans la fabrication de textiles. Facilement accessible, elle est naturellement renouvelable car elle repousse toujours après avoir été coupée sur le dos des moutons. Composée de fibres protéiques (la kératine), les produits en laine peuvent facilement se biodégrader à la fin de leur cycle de vie sous l'action des microorganismes [1]. Ses propriétés physico-chimiques rendent cette fibre très intéressante et unique. Par exemple, sa structure en écailles permet d'augmenter sa surface de contact avec l'air tout en freinant sa circulation, et ce sur une large gamme de températures. Elle ne tient donc pas seulement chaud, elle nous permet de rester au frais. D'autre part, elle a la capacité d'absorber jusqu'à 35% de son poids en humidité qui est ensuite libérée sous forme de vapeur d'eau dans l'air [2] . On reste donc aussi au sec !
Malgré ses nombreux avantages, les matières synthétiques, au prix plus attractif, ont peu à peu pris une place importante sur le marché mondial du textile au détriment de la laine et autres matières naturelles et donc, dans nos placards. Et oui, la plupart de nos vêtements sont aujourd'hui constitués de plastiques ! Les matières synthétiques, produites à partir d'hydrocarbures, sont également teintes avec des colorants chimiques dérivés du pétrole qui ont des conséquences néfastes et directes sur la santé humaine des travailleurs et des consommateurs, et évidemment sur l'environnement qui en est grandement impacté. Selon l'ADEME, La teinture serait responsable à elle seule de 20% de la pollution des eaux sur Terre. La laine, de son côté, est devenue une matière noble, avec laquelle on fabrique des produits de moyenne et haute gamme.
Alors que fait-on, face à ces constats ? Heureusement, tout n'est pas noir, car des voies s'élèvent et prônent un changement, aussi bien dans les pratiques que dans l'état d'esprit. De nombreux acteurs ont en effet décidé de se (re)tourner vers des matières premières naturelles, respectueuses de l'environnement, des animaux et des humains. La laine en fait partie. Mais on part de loin, car la filière laine en France et plus largement en Europe a connu une diminution drastique de ses activités ces dernières décennies. Alors il faut reconstruire, recréer du lien entre la terre, les animaux, les éleveurs et les nouveaux acteurs de la filière. Recréer le lien aussi avec les machines et des savoir-faire techniques perdus ou oubliés. Tout cela reprend forme à présent, et c'est une source d'énergie incroyable. A plusieurs, je suis convaincue que nous pouvons faire beaucoup, et il y a tant à faire !
Toutes ces réflexions liées à l'environnement, à la biodiversité et à nos modes de vie sont pour moi fondamentales et me guident au quotidien. Elles m'ont été transmises par mes parents et grands-parents, et par le lieu où j'ai grandi, les Pyrénées. Un territoire encore en partie préservé, mais qui doit être protégé. C'est là qu'intervient la brebis Lourdaise. Une race de brebis emblématique des Pyrénées et pourtant encore en voie d'extinction à ce jour. Alors quand mon père s'est engagé pour sa sauvegarde il y a plus de trente ans, il ne s'imaginait peut-être pas que je poursuivrais cette lutte à ma façon : en valorisant sa laine. Cette matière récoltée tous les ans (parce que c'est une étape essentielle pour la santé des animaux) ne rapporte en général rien aux éleveurs, qui sont confrontés à la concurrence des laines étrangères. Conséquence, la laine s'accumule et les éleveurs ne savant plus quoi en faire, en viennent même à la qualifier de déchet. Face à ce constat, j'ai voulu m'engager à mon tour dans la filière laine pour valoriser cette matière noble et lui redonner toute sa place.
La laine en elle-même me fascine. Son toucher, sa structure, sa forme, sa couleur. Ses nombreuses propriétés également, qui démontrent le pouvoir de cette fibre naturelle. Et aussi tout ce que l'on peut en faire. Je le disais plus haut, la laine est utilisée depuis des millénaires pour fabriquer des vêtements. Et à l'époque, ça prenait tellement de temps de faire du fil au rouet ou au fuseau que les rares vêtements créés étaient précieux et reprisés au maximum en cas de besoin. De nos jours, les filatures artisanales ou industrielles permettent de faire du fil en quantité et plus rapidement qu'à la main. La laine ne demande qu'à être transformée. Nous avons ainsi à notre disposition du fil, prêt à être tricoté, tissé, crocheté... Il n'en est pas moins important de réutiliser et réparer autant que possible.
Mon positionnement dans ce secteur était clair dès le départ. Je voulais proposer un fil en laine naturelle et traçable, qui reflète son terroir et qui soit produit d'une façon respectueuse des animaux, de l'homme et de l'environnement dans la mesure du possible.
Par laine naturelle, j'entends par là :
-une laine qui n'a pas été carbonisée (un procédé chimique nécessitant un acide pour détruire les débris végétaux), mais simplement soumise à l'action mécanique de machines pour enlever au maximum ces débris (sans oublier les petites mains au moment du tri)
-une laine qui n'a pas été traitée "superwash", un procédé qui consiste à appliquer une résine sur la fibre, dans le but de l'empêcher de feutrer lors du lavage du vêtement (et qui par la même occasion lui fait perdre en qualité isolante)
-une laine qui n'a pas été teintée avec des colorants de synthèse, mais plutôt avec des végétaux, à la main et sans utiliser de mordant à l'alun de synthèse.
De cette façon, la laine conserve toutes ses propriétés naturelles et le fil obtenu n'en est que plus authentique.
Lors de ma recherche de partenaires pour assurer les différentes étapes de la transformation, je voulais me tourner vers des entreprises locales et artisanales, qui possèdent tous ces savoir-faire. Il y en a peu, mais elles existent. Et grâce à la Filature de Niaux en Ariège et l'atelier Myrobolan dans la Creuse, le résultat est là. J'en suis si fière et heureuse. Il faut maintenant continuer, ce n'est que le début !
D'autres part, je souhaitais proposer des créations artisanales en laine filée à la main. Car le travail de cette fibre à la main de A à Z est pour moi essentiel. Il permet de se connecter avec la matière et de la comprendre, d'acquérir un savoir-faire et des techniques, et aussi de prendre le temps, tout simplement. De plus, une création artisanale raconte une histoire, reflète la personnalité de son créateur ou créatrice, rend compte de valeurs… Des valeurs que je peux partager et transmettre lors d'ateliers créatifs, également riches en rencontres humaines.
J'espère que ces quelques mots auront permis d'éveiller votre curiosité et vous vous êtes retrouvé quelque part dans tout cela. Au plaisir d'échanger avec vous sur le sujet, n'hésitez pas à m'écrire !
Références
[1] The wool handbook, Morphology, Structure, Properties, Processing, and Applications The Textile Institute Book Series, 2024, Pages 401-440
[2] J. Chybik, Natural Building Materials, 978-80-247-2532-1, Grada Publishing, a.s., Prague, Czech Republic (2009)
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