Histoires
Une histoire de famille
Mon rapport à la laine et au tricot est tout simplement une histoire de famille. Ma passion pour le tricot et les arts du fil, mais aussi pour les loisirs créatifs en général, est probablement inscrite dans mes gènes. J’ai appris le tricot avec ma grand-mère paternelle, lorsque j’étais enfant, ma grand-mère maternelle était couturière, et ma maman m’a transmis son goût pour les couleurs au travers de la peinture.
Et la laine dans tout ça ? Il y a environ une trentaine d'années, mon père, alors professeur d'histoire géographie et très attaché au patrimoine local, fit le choix de devenir éleveur et de s'engager activement pour la sauvegarde de la lourdaise, une race de moutons emblématique et locale des Hautes-Pyrénées, alors au bord de d'extinction. C'est ainsi qu'en parallèle de son travail de professeur, il se prit de passion pour l'élevage de cette race de brebis si particulière. Comptant en 2023 environ 1300 bêtes (alors que le seuil du statut de race menacée est fixé à 6000 bêtes), la brebis lourdaise est aujourd'hui et malgré ses efforts remarquables, encore protégée par l'Unité Pyrénéenne Races Allaitantes (UPRA) ovines des Pyrénées centrales. Mon père a d'ailleurs collaboré avec l'UPRA suite à une sollicitation auprès de l'Institut Technique de l'Élevage Ovin et Caprin (ITOVIC) dans un programme de conservation de la race lourdaise par la congélation de semence issue de béliers sélectionnés, dont un de son troupeau. Quand je regarde en arrière, je ne peux être qu'admirative et fière de son travail et lui suis grandement reconnaissante de m'avoir entrainée dans cette aventure.
Ainsi, depuis ma naissance, mon père m'a toujours amenée avec lui à la ferme. J'ai toujours aimé le contact avec ces animaux, la brebis lourdaise étant particulièrement douce et affectueuse. Lorsque les naissances ne se passaient pas toujours comme prévu, c'était moi qui donnais le biberon aux agneaux, et j'adorais ça ! J'ai baigné dans l'univers de l'élevage depuis toujours, et c'est donc tout naturellement que j'en suis venue à m'intéresser à la laine. C'est une matière incroyable aux nombreuses propriétés qui mérite à être connue et utilisée pour ses vertus.
Histoires pastorales
Mes réflexions sur les origines de la laine et sa transformation sont indéniablement liées au respect du bien-être animal. Les races de brebis élevées dans les Hautes-Pyrénées vivent pendant plusieurs mois de l'année dans les pâturages en haute montagne. Enfant, j'accompagnais mon père faire la transhumance de son troupeau dans le parc national des Hautes-Pyrénées dans la vallée du Marcadau. Que de souvenirs inoubliables ! Ils resteront à jamais gravés dans mon cœur, tant ils font partie intégrante de mon histoire.
Mon père rendant visite à son troupeau en estive
La lourdaise est par ailleurs assez particulière car contrairement à d'autres races, elle se nourrit principalement de foin et de regain, récoltés par les agriculteurs directement dans la vallée, ce qui limite le recours aux céréales et aux problèmes environnementaux qui y sont malheureusement parfois associés.
Le reste de l'année, les moutons pâturent dans les prés en basse montagne et sont abrités dans la bergerie lorsque les conditions climatiques sont difficiles en hiver. Certains troupeaux vivent même toute l'année en extérieur. Les moutons locaux sont donc élevés en semi-liberté. Ils sont tondus une fois par an par des professionnels, dotés d'une grande technique et qui maitrisent l'art de la tonte, conditions nécessaires à la bonne santé de l'animal.
Les enjeux de la filière laine
La laine produite en France est très peu et mal valorisée. Avant la crise de la COVID en 2019, la majeure partie de la laine française était achetée aux éleveurs par des grossistes à un prix dérisoire, ne couvrant même pas le prix de la tonte, avant d'être exportée en Chine, pour y être traitée par des procédés industriels (avec les impacts écologiques et sociaux que l'on connait), puis renvoyée vers le marché européen sous forme de produits finis. En 2021, à peine 4 % de la laine française était valorisée sur le territoire selon le collectif Tricolor. Pire encore, cette laine, pourtant le fruit d'un travail considérable de la part des éleveurs tout au long de l'année, est de plus en plus considérée comme un déchet encombrant dont il est difficile de se débarrasser. Il n'est pas rare de voir les éleveurs se résoudre à la brûler, faute de solutions alternatives. De plus, la laine française et plus largement européenne, subit la concurrence de la laine de moutons mérinos récoltée en Océanie. La renaissance de la filière laine française représente donc une solution d'avenir pour relocaliser la production de laine et sa transformation, mettre en lumière les différentes laines de nos régions et faire revivre des savoir-faire ancestraux.